Archive for the passage Category

346. Passager (4/10)

Posted in enterrement, passage with tags on février 8, 2010 by 1000morts

Au bout d’un sentier aveuglé par la moiteur, ils atteignent une partie du cimetière consacrée aux anonymes. Le paradoxe est là : des chiffres. Des symboles. Des suites de caractères imprononçables, des dessins, et même une pierre en forme de X, couverte de mousse. L’ignorance faite chair.

– Cela peut surprendre tout d’abord, mais finalement, c’est assez logique : c’est dans un cimetière aux noms multiples mais ne signifiant rien qu’il a trouvé le passage. Dans les premiers temps, c’est devenu une véritable usine. La file s’étendait jusqu’aux grilles, et même au-delà, dès les premières habitations à plusieurs kilomètres. Il y avait une économie parallèle, les places se revendaient au marché noir, les privilèges tacites favorisaient les femmes enceintes, les mutilés de guerre. Une finance de la peur. Tout s’est écroulé.

On sent sa sueur à plusieurs mètres. Et son souffle d’asthmatique court parmi ses bronches ossifiées.

– On ignore pourquoi, certains ne sont pas parvenus à passer. Et ce qu’ils sont devenus en ont dégoûté plus d’un. Je devrais plutôt dire : ce qu’il est resté d’eux. Heureusement qu’ils emportaient leurs papiers…

Un trou attend. Un beau trou rectangulaire, net, au rasoir. La taille semble correcte.

– … mais ce n’est plus arrivé depuis des lunes.

Un trou parfait pour lui.

– Vous vous allongerez au fond, face contre terre, dos au ciel.

Un espace en creux aspirant à la convexité.

– Vous ne tenterez pas de respirer.

Un vide qu’il aspirait à remplir…

– Vous vous laisserez recouvrir jusqu’à ce que vous soyez appelé…

… maintenant.

– … demain matin.

Le Passager descend dans le trou, s’agenouille, jette un œil sur ce qu’il abandonne : le visage du Passeur, un museau curieux. Il ramène un bras sous son ventre, l’autre sous son front, et cesse lentement de respirer. La terre tombe sur lui, recrée l’obscurité dans un cocon. Les bruits reculent.

343. Passager (3/10)

Posted in passage, poison with tags on février 5, 2010 by 1000morts

« Le temps ici est un phénomène de bascule, reprend le Passeur. Difficile de le comprendre comme ça, mais vous comprendrez. Bientôt. La marée monte, ils ont fini de toucher aux engoulevents, ils engraissent sur leurs épaves. Ils préfèrent le jeûne. C’est le signe de votre départ. »

Sa silhouette grossière se confond avec un monde arrondi par l’obscurité. Une stèle devient son dos, redessine un ex-voto avant de découper une ligne d’arbres bas. Le Passager peut sentir sa cervelle bouger comme une éponge dans l’ivresse des grandes profondeurs. « J’étouffe un peu, dit-il, massant sa gorge, un goût de poussière montant le long.

– Il va faire chaud, cette nuit. Exceptionnellement chaud. Vous devriez cependant vous couvrir.

– Que voulez-vous dire ?

Un sifflement bas lui répond, suivi par une cavalcade en sourdine. L’air amplifie les volumes : il aurait dit que de grandes masses se déplacent ignominieusement vite. Avec une souplesse de monstre total. Une envie de vomir le prend.

– Venez, dit le Passeur. Votre porte vous attend.

Il sort une petite fiole sans éclat.

– Buvez ceci. Pour une longue marche.

340. Passager (2/10)

Posted in devoration, passage, Uncategorized with tags on février 2, 2010 by 1000morts

Le soleil se lève, presque aussi crépusculaire que son aurore. La pluie est mauve – conséquence inattendue parmi d’autres. Les pavots profitent des bouleversements, recouvrent lentement la lande urbaine. On parle d’eux au futur.

Tout autour, les immeubles commencent à dessiner leurs baleines éventrées. Par vagues, le centre hospitalier suburbain, le centre de détention, le centre sportif, le centre commercial se confondent tout en découpant leurs ruines. Sensation d’un étrange compromis.

Le Passager est toujours parmi les armées. Plantations de crocs, bien propres, et de coussinets léchés. Il perçoit le bruissement dans sa peau, une onde de digestion, la cacophonie du contentement. « Petits, petits, petits, petits. »

Le tronçonnement des restes, cette sorte de ventricule qui hésite, bégaie et s’évase par cycles, s’interrompt brusquement. Pourtant, ils sont si loin. Il ne voit pas leurs yeux, il ne sent pas leur haleine, mais ils l’entendent lui. Et sa présence n’est pas souhaitée, il le comprend immédiatement. « J’ai néanmoins mon utilité, pense-t-il. J’ai ces mains qui bougent encore un peu. » Il fait des gestes, mime la caresse, au ras du sol. Se rappelle les évidences qui s’imposent en présence d’un nouveau-né : les appels suraigus, le jeu de la langue. Et la tendresse forcée.

Ça ne marche pas très bien au début. Bien sûr, quelques-uns font mine d’avancer, minaudent, léchant une patte, jouant avec une feuille en plein soleil. Rampent, se frottent le ventre dans la poussière, étalent leur longueur sous la chaleur.

Un petit roux finit par le rejoindre, passe entre ses pieds, levant la tête parfois en fermant les yeux, jouant avec un lacet. Le Passager lui gratte le dessous de la mâchoire et derrière les oreilles. Les bruits de machine reprennent la danse. « La mécanique fonctionne, pas vrai ? »

Il brise l’attente en sa compagnie.

L’autre fait comme un lien avec la foule. Un cordon permis par la distance. Et il sera l’un d’entre eux avant que le soir tombe.

Le jour, encore un jour. Et les vingt-quatre heures de la nuit.

337. Passager (1/10)

Posted in maladie, passage with tags on janvier 30, 2010 by 1000morts

Entre les tombes du cimetière de Byble, ils vont et viennent par grappes. Ils refluent, cette marée donne le mal de mer en pleine banlieue. Ils dessinent des sentiers provisoires.

– Ça lui a pris quand ?

La voix éraillée du Passeur ricoche entre les stèles. « Au moment de la conjonction. Ou juste avant, je ne sais plus.

– C’était comment, ici ?

– Pas pire qu’ailleurs, j’imagine. Le plus dur, c’étaient les débris. Du moins, ceux qui marchaient encore. Ou qui claquaient des mâchoires.

Mégot lancé parmi les ombres, le Passeur se relève, frotte ses mains sur les jambes de son pantalon, rajuste son haut-de-forme. Et jette un œil au-delà de la rivière. La nuit tombe comme un paquet de linge. Quelques sons encore : feulements dans les herbes rares et les bulbes, lacérations, courses dans la lumière des inanimés. Fondu enchaîné sur le visage du Passager, sa peau lâche, son teint de craie, ses yeux enfoncés. Un masque sous des touffes grises.

– La rumeur courait depuis longtemps sur sa santé mentale… détériorée. « On l’a retrouvé en pièces, dans toute la moiteur d’une alimentation déficiente. » Voilà ce qui se disait.

Le Passeur lève la tête.

– C’est ce qu’un journal a écrit dans sa nécro.

– On l’a enterré ?

– Oui.

– Ici ?

Silence des engoulevents : la chasse est ouverte. Les troupes conquièrent de nouveaux espaces, attaquent les bancs opaques, éparpillent. Le carnage est bref ; la nourriture, abondante.

La silhouette du Passeur se détache lentement sur les nuages en mouvement. La couleur rouge du monde s’éclaircit sur les bords, dessine de molles anamorphoses. Des visages. Des griffes. La forme du silence. « Quelque part, on n’a pas le droit de savoir.

– Les frayeurs se dissipent, pourtant. La nuit porte conseil.

– Il y a des conseils qu’il vaut mieux ne pas entendre.

Flash : l’incandescence de la mort lente. La fumée du goudron s’échappe de sa bouche.

– Croyez-moi.

– Me direz-vous avant le jour ?

La buée sourd de sa peau comme une lampe-tempête.

– Rien ne saurait m’y contraindre. Pas même leurs régurgitations.

La nuit, le jour. Une autre nuit.

324. Passage De Chrome Déchiqueté Par Des Crocs

Posted in disparition, passage with tags , on janvier 17, 2010 by 1000morts

Le vent soulève ses cheveux noirs, corps qui ondule, yeux à trop voir, aveugles. Ses vêtements noirs, blancs, volètent. La gravité d’un instant, d’ores abasourdi par l’élévation et déjà appesanti par le vol. Sa serpentance démarre lentement, gentiment, il pourrait encore battre des ailes ; les nuages sont gorgés d’eau mais secs à sa gorge. Ils se percent à son passage, vomissent leur moiteur sur un sol qu’ils imaginent. Au centre de tout, en contrebas, ce point vers lequel il chute, ce point unique de l’alunissement en plein jour. Sa statue de saint Pierre, ce regard oblique, qui oblige à détourner le visage ; cette certitude de l’erreur. Tout s’accélère, Chrome se jette à toute vitesse vers la meute enragée, babines bavantes, crocs urticants, griffes, lames, tout un hérissement de pointes et de tranchants dressés vers sa pauvre enveloppe si facile à la scie, au scalpel, mais Chrome n’est plus là, ce qu’il était n’est plus, Chrome a disparu dans un flash de magnésium ultraviolet.

323. Retour De Messaline Au Waldorf Astoria Du Diable (2/6)

Posted in maladie, passage with tags on janvier 16, 2010 by 1000morts

Entrée dans l’amnésie.

Les portes coulissent, closent la vision. Détournent l’essentiel vers des chambres plus obscures, vers des colonnes vertébrales, vers des dégénérescences cérébrospinales, vers des amyotrophies latérales sclérosantes, vers l’assoupissement, vers les auges, vers les loges où les empereurs règnent sur la vermine, où l’on peut enfin se faire chier dans la tête, où les troubles ne sont que ce qu’ils sont, vers la fin des complexes et des galaxies, vers les sutures mal faites, les séparations au cutter, les désiamoisements sauvages, les frayeurs volontaires, l’absence de clés dans cette cage d’escalier vers l’enfer ne nous effrayait pas.

Nous étions de passage.

313. Le Dernier Voyage De Chrome Sous Sa Forme Actuelle

Posted in maladie, passage with tags , on janvier 6, 2010 by 1000morts

Qu’a-t-il vu sur la carte du monde ?

Une tumeur, purulant au coeur même de la cité. Une araignée gigantesque, sur le dos, les pattes retournées sur elle-même, comme plantée au sol par une pique longtemps disparue. Et cette lumière oblique qui tombe sur elle, cette pluie d’or qui enfante, ce revenant fertile, lui redonne la couleur de la rouille coagulée.

Mais il sait que le Waldorf ne le laissera pas entrer. Pas cette fois. Il doit ruser. Trouver des voies détournées, y compris dans son propre esprit, pour esquisser un Passage des passages, une méta-circonvolution, un voyage autour et tout à la fois au centre de la Terre.

Sauf que ce sera le dernier voyage de Chrome sous sa forme actuelle.

307. Du Toit Du Monde, La Carte Virale De Byble

Posted in etouffement, passage with tags on décembre 31, 2009 by 1000morts

L’odeur du soufre comme parfum du péché, une illusion. Chrome entend les bruits de la vie en contrebas, lui perché sur la pointe la plus haute de la capitainerie, sur le toit, au-dessus du monde. Pas de variation dans l’air ici, pense-t-il. La brise ou le tourment, tout est viral. Et se mêle en maëlstrom sur le chef du monde. Chrome inspecte la carte sous ses yeux, le plan de Byble, les dessins de ses artères, et plus encore la menace des eaux dans son dos, cette rougeur noire de l’océan, la promesse étale de l’étouffement, l’impossibilité d’en sortir autrement que par la tombe. Un Passage encore, se dit Chrome. Un Passage, juste un. Et le mensonge sera clos.

292. Silhouette D’Antimatière

Posted in devoration, disparition, passage with tags on décembre 16, 2009 by 1000morts

Lodger, sa position d’antimatière demeure au coeur du réfectoire. Une statue de vide aspirant, trois dimensions qui consument toutes les autres, les bras en croix et le visage noir, des filaments qui s’estompent, Lodger en crue a débordé et creusé un Passage à même la profondeur de l’air.

285. L’acier Viral Du Nom De Chrome

Posted in demembrement, passage with tags , on décembre 9, 2009 by 1000morts

Son visage d’émacié sent l’aiguille des sueurs, les prodromes de la colère, Lodger droit comme un phare de haute mer, brave, contrecarre. Ses yeux sont vides mais il se fait une idée imparfaite des couleurs ; il mélange ça avec de la musique. Il vibre excepté des mains, reprend son souffle pour le perdre aussitôt, sa fréquence est celle des corps, décidément, sans forcément le vouloir.

Sa descendance s’active en flots écumeux. Certains de ses fils baignent çà et là ; d’autres rassemblent, empilent ; d’autres se recueillent ; d’autres encore lavent les murs, noient les sols, grattent, épongent, redressent, réorganisent la colonie. Renouent les connexions. Raniment les terminaisons. Et au coeur de la termitière, Lodger, comme un passager, un hôte, dressé telle une stèle, imagine ses anathèmes, ses tortures de l’oreille interne, énumère ses ustensiles.

Il s’est passé quelque chose, un détail lui a échappé, sa litanie s’est interrompue et des corps ont explosé. Le réfectoire comme partition inachevée. Des notes de sang littérales ponctuent les murs. Une image s’impose, celle d’un visage très pâle, un homme, cheveux noirs, les yeux brillants de celui qui est déjà tellement mort, tellement souvent, et cette tonalité hagarde dans le mouvement de son aura/métal.