Accoudé au bar, il boit des oreilles la soupe qui sourd du semi-piano dans l’ombre. Les tables sont à peu près pleines, elles lui semblent des canots de sauvetage où les naufragés trinqueraient à la santé du capitaine. Mentir ; se soulager. Tout brûler à la lueur de l’alcool. Noyer tout et son contraire. Entreprendre, sauter, oublier. Permettre à la moelle épinière de faire un tour, s’aérer sur les docks, tracer des rails de chance en élévation. Des vibrations sous ses pieds ; il n’y a pas de métro à Byble. SteelSun ne sait plus qui il est, jusqu’à ce que cette fille l’accoste franco :
– Vous êtes libre ?
– Je suis quoi, pour vous, un gigolo ?
– Vous prenez quoi ?
Le sol commence tout doucement à bouger ; le reste de liquide dans son verre balbutie son Coriolis inversé.
– La même chose. Dégagez.
– J’étais sur un coup, il est parti en fumée entre ici et la porte d’entrée.
– La même chose. Dégagez.
La fille en noir s’assied malgré tout, l’air d’être en paix avec le monde entier, ce qui a le don de le mettre en rogne. Les bonnes intentions, ça sert juste à justifier les pires saloperies, selon lui. Il s’en sort mieux avec une belle gueule qu’avec l’air paisible. Il sent sa chaise se soulever très, très légèrement au rythme des tremblements qui s’intensifient ; la sauce monte de plus en plus, ça lui file un mal de mer terrible. Il angoisse ; la nuit en finira-t-elle jamais avec lui ?
– Vous entendez ça ?
Le grondement ; il n’y avait pas prêté attention.
– On dirait un tsunami dans les fondations de la ville : je gagne quoi ?
– Le maître arrive.
SteelSun la regarde pour la première fois, et le visage de Phylis, extatique, transfiguré, semble habité par les mouches et des pointes de scalpel.
Archive pour janvier, 2010
338. Une Fille Au Visage De Mouches Et De Scalpels
Posted in catastrophe naturelle with tags byble, steelsun, syphilis, wier on janvier 31, 2010 by 1000morts337. Passager (1/10)
Posted in maladie, passage with tags chrome on janvier 30, 2010 by 1000mortsEntre les tombes du cimetière de Byble, ils vont et viennent par grappes. Ils refluent, cette marée donne le mal de mer en pleine banlieue. Ils dessinent des sentiers provisoires.
– Ça lui a pris quand ?
La voix éraillée du Passeur ricoche entre les stèles. « Au moment de la conjonction. Ou juste avant, je ne sais plus.
– C’était comment, ici ?
– Pas pire qu’ailleurs, j’imagine. Le plus dur, c’étaient les débris. Du moins, ceux qui marchaient encore. Ou qui claquaient des mâchoires.
Mégot lancé parmi les ombres, le Passeur se relève, frotte ses mains sur les jambes de son pantalon, rajuste son haut-de-forme. Et jette un œil au-delà de la rivière. La nuit tombe comme un paquet de linge. Quelques sons encore : feulements dans les herbes rares et les bulbes, lacérations, courses dans la lumière des inanimés. Fondu enchaîné sur le visage du Passager, sa peau lâche, son teint de craie, ses yeux enfoncés. Un masque sous des touffes grises.
– La rumeur courait depuis longtemps sur sa santé mentale… détériorée. « On l’a retrouvé en pièces, dans toute la moiteur d’une alimentation déficiente. » Voilà ce qui se disait.
Le Passeur lève la tête.
– C’est ce qu’un journal a écrit dans sa nécro.
– On l’a enterré ?
– Oui.
– Ici ?
Silence des engoulevents : la chasse est ouverte. Les troupes conquièrent de nouveaux espaces, attaquent les bancs opaques, éparpillent. Le carnage est bref ; la nourriture, abondante.
La silhouette du Passeur se détache lentement sur les nuages en mouvement. La couleur rouge du monde s’éclaircit sur les bords, dessine de molles anamorphoses. Des visages. Des griffes. La forme du silence. « Quelque part, on n’a pas le droit de savoir.
– Les frayeurs se dissipent, pourtant. La nuit porte conseil.
– Il y a des conseils qu’il vaut mieux ne pas entendre.
Flash : l’incandescence de la mort lente. La fumée du goudron s’échappe de sa bouche.
– Croyez-moi.
– Me direz-vous avant le jour ?
La buée sourd de sa peau comme une lampe-tempête.
– Rien ne saurait m’y contraindre. Pas même leurs régurgitations.
La nuit, le jour. Une autre nuit.
336. L’Epiphanie Des Humeurs Mauvaises
Posted in fantôme, maladie, operation chirurgicale with tags lodger on janvier 29, 2010 by 1000mortsLe corps comme décor, colonne vertébrale en tourbillon de chute, gorge du silence, tessons découpés dans la matrice, ce qu’on enlève revient hanter, descend au même terminus et prélève à tout va, vision de derrière les yeux, prédictions des chairs tuméfiées, les membres fantômes, Lodger c’est cela : l’immanence du goître, le flanc percé pour inonder ses ouailles, l’humeur qui s’accumule en manière d’épiphanie, l’évanescence qui se déploie et retombe, retombe, creuse les sous-sols qu’elle transforme en ciels.
335. Retour De Messaline Au Waldorf Astoria Du Diable (6/6)
Posted in reproduction, torture with tags waldorf astoria on janvier 28, 2010 by 1000morts14e au 229e étages. On Entre Au Pays Des Morts.
Un univers unique, fruit fusionnel des 215 étages supérieurs. Une reine. Une matrice. La parfaite incarnation. Un univers du développement, de l’expansion. Les voiles se tendent. Le vent se lève. Les vagues se creusent sur le fil de l’échine. Eclatent leurs outres d’hydrogène. Les cocons de cuir qui pendent, gobés de l’intérieur, sèchent, composent de nouveaux globes, participent de l’évolution.
Le choix de l’unique, de l’autosacrifice, de la permanence de la souffrance. De l’augmentation de soi. Du trépan. Du rasoir infini.
333. Vision De Nile Dans L’Interzone
Posted in fantôme, operation chirurgicale with tags lyceum, rossetti, waldorf astoria on janvier 26, 2010 by 1000mortsL’horreur du chiffre, culte de la fenêtre rouge et de l’ascenseur qui ne remonte jamais, Rossetti s’endort hanté dans les couloirs de l’hôpital, jusqu’au jour où il trouve cet étage particulier, plutôt un entre-sol où se rejoignent deux anciens, très anciens bâtiments. L’un est le Waldorf Astoria ; l’autre mène au Lyceum réaffecté en asile psychiatrique. Prison des âmes, pénitencier des inanimés. Il demeure interdit devant cette parfaite forme du Y. Et siège en cette intersection telle, hystérique, une madone aux trépanés.
332. Retour De Messaline Au Waldorf Astoria Du Diable (5/6)
Posted in demembrement with tags waldorf astoria on janvier 25, 2010 by 1000morts13e étage. Le purgatoire. Une pièce d’échelles, définition de l’être humain, sur chacune à la fois. Monte, descend. Est écartelé. Membres pris entre les barreaux. Et toujours cette immonde obligation du déplacement.
Mécanisme obturé dans la danse des roues. Ça coince au niveau des jointures. La dégénérescence se déploie. Et trouve ses enfants dans des poches trouées.
331. Tesson Parmi Les Songes De Gaze
Posted in demence, operation chirurgicale with tags lodger on janvier 24, 2010 by 1000mortsIl bute sur des portes ouvertes.
Ses mains sont éprises du coussin des murs.
Corps qui songe ; machine qui s’emballe.
La vue des lumières artificielles allume des cylindres mobiles derrière ses yeux. Projette les illusions de la sanité dans l’ourlet de ses paupières. Qui ploient sous le regard seringueux des hommes de science. Et s’effondrent en précipité dans un creuset d’alchimiste.
Lodger c’est cela : l’ignorance désormais de la normalité.
330. Ciel Du Soleil D’Acier IV
Posted in fantôme with tags messaline, steelsun, waldorf astoria on janvier 23, 2010 by 1000morts– Dans quelle fantasmagorie de l’ordure vis-tu ?
SteelSun parle à une silhouette en creux, dernière définition des spectres.
Messaline n’est plus.
Qu’un souffle d’air qui recule dans le patio ; qu’une histoire qu’on se raconte entre femmes de chambre ; qu’un pourboire laissé sur un lit au milieu des taches.
329. Retour De Messaline Au Waldorf Astoria Du Diable (4/6)
Posted in poison, reproduction with tags waldorf astoria on janvier 22, 2010 by 1000morts3e au 12e étages. On s’enfonce. Les tripes de l’Astoria plongent au milieu des nuages, où la vie s’effondre sur elle-même. On croise des champs de pavots, des creusets d’acier fondu, c’est le plan des guerriers, on monte dans la hiérarchie. Des horreurs à plusieurs jambes passent entre les feux. Le noir trime, il produit à plein, c’est l’ère des industries, du mensonge de masse, des léviathans, des nouvelles créatures. L’ère des procréations assistées, de la multiplication du sang. De la dilution du même.
Les miroirs partout possèdent des axes impossibles. Il faut des milliards de sacrifices pour une puissance identique. Le métal par plaques mouvantes sur les paumes. L’alchimie de l’épuisement.
La fiole se vide. Le poison se déverse. Les barreaux commencent à bouger de leur vie fœtale. Le souvenir du vide frappe contre la vitre. Comme un anophèle contre la lumière.