337. Passager (1/10)

Entre les tombes du cimetière de Byble, ils vont et viennent par grappes. Ils refluent, cette marée donne le mal de mer en pleine banlieue. Ils dessinent des sentiers provisoires.

– Ça lui a pris quand ?

La voix éraillée du Passeur ricoche entre les stèles. « Au moment de la conjonction. Ou juste avant, je ne sais plus.

– C’était comment, ici ?

– Pas pire qu’ailleurs, j’imagine. Le plus dur, c’étaient les débris. Du moins, ceux qui marchaient encore. Ou qui claquaient des mâchoires.

Mégot lancé parmi les ombres, le Passeur se relève, frotte ses mains sur les jambes de son pantalon, rajuste son haut-de-forme. Et jette un œil au-delà de la rivière. La nuit tombe comme un paquet de linge. Quelques sons encore : feulements dans les herbes rares et les bulbes, lacérations, courses dans la lumière des inanimés. Fondu enchaîné sur le visage du Passager, sa peau lâche, son teint de craie, ses yeux enfoncés. Un masque sous des touffes grises.

– La rumeur courait depuis longtemps sur sa santé mentale… détériorée. « On l’a retrouvé en pièces, dans toute la moiteur d’une alimentation déficiente. » Voilà ce qui se disait.

Le Passeur lève la tête.

– C’est ce qu’un journal a écrit dans sa nécro.

– On l’a enterré ?

– Oui.

– Ici ?

Silence des engoulevents : la chasse est ouverte. Les troupes conquièrent de nouveaux espaces, attaquent les bancs opaques, éparpillent. Le carnage est bref ; la nourriture, abondante.

La silhouette du Passeur se détache lentement sur les nuages en mouvement. La couleur rouge du monde s’éclaircit sur les bords, dessine de molles anamorphoses. Des visages. Des griffes. La forme du silence. « Quelque part, on n’a pas le droit de savoir.

– Les frayeurs se dissipent, pourtant. La nuit porte conseil.

– Il y a des conseils qu’il vaut mieux ne pas entendre.

Flash : l’incandescence de la mort lente. La fumée du goudron s’échappe de sa bouche.

– Croyez-moi.

– Me direz-vous avant le jour ?

La buée sourd de sa peau comme une lampe-tempête.

– Rien ne saurait m’y contraindre. Pas même leurs régurgitations.

La nuit, le jour. Une autre nuit.

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