– Allongez-vous, ma chère. Vous risquez de tomber sur ce sol si dur et froid, et que pourrait y faire un aveugle tel que moi ?
La femme aux cheveux presque blancs, une main appuyée sur le manteau de la cheminée, hésite visiblement. Ses yeux écarquillés transpirent l’effroi ; son autre main, gantée celle-ci, rougit le tissu et imbibe son flanc. Elle attendait, mais le fruit de sa patience ne la nourrit pas, non.
– Etendez-vous sur ce lit tout simple.
Sa voix commençait à grincer, tout doucement, comme une porte trop vieille que l’on tente de refermer aux premières heures du matin. On y entendait des bruits d’acier, la cohorte des enchaînés, les chocs de la sidérurgie et le cliquetis spectral des cauchemars. Une procession qui ne semblait pas suffire à la décider.
– Ou devrai-je me révéler à vous pour vous convaincre d’obéir ? Est-ce cela que vous désirez VRAIMENT ?
Soudain, sa voix s’était faite celle des éprouvés, du déchirement, de la torture des bonnes intentions. Elle avait la force sécante du couperet et celle, contondante, du marteau de guerre. Madame Bathory prit place, ainsi qu’il l’avait ordonné.
L’homme se rassit, aussi rapidement adouci que sa colère avait éclaté. Il posa son bâton d’infirme par terre, à côté de lui, après s’être assis sur un tabouret de bois. Il avança les mains et, sans tâtonner, les posa à l’endroit exact où les lignes de puissance se rejoignaient. Au centre du labyrinthe formé par des courants, d’invisibles courants de profondes énergies. Instantanément, Madame Bathory s’évanouit, sa peau translucide palpitant comme ailes de papillon, ses cheveux éclairant avec faiblesse le visage extatique de l’aveugle. Dont les doigts prirent vie à mesure que celle-ci quittait le corps qu’ils pianotaient de plus en plus furieusement.