130. Les Douze Heures De Chrome A Tikal : Septième Heure
Des dizaines de mains agrippent son cadavre gluant, récoltent chaque débris d’os et grattent chaque encastrement de cervelle, tout est soigneusement répertorié, consigné, évalué, scanné et manipulé, assemblé, pensé, examiné et testé, tâté, refermé et soudé, jusqu’à ce que Chrome émerge sur la table d’opération tendue de velours vert. Un objet entouré d’autres objets, lames et scies mordantes, perceuses et visseuses, plaques de métal et feuilles d’or, des cheveux de teintes et textures très diverses, des champs dressés au regard, masques, gants, coudes qui actionnent des robinets dans la pénombre, mains levées et yeux écarquillés, tout se passe dans une lumière de nuit tombée en plein après-midi.
Chrome allongé ouvre les yeux, sa peau brille d’une clarté cendrée, ses narines palpitent à l’odeur âcre du cochon grillé, la première pensée de ses mains est pour son crâne, bien sûr. Il se touche la tête, fronce les sourcils. Et se pose la seule vraie question qui s’impose : qu’est-il devenu pour prix de toute information ? Car payer un prix est une chose ; rembourser les intérêts sur un emprunt que l’on n’a pas contracté, une autre.
La station assise est un supplice ; debout, pire encore. Il marche sur des clous rouillés, sa gorge est pâteuse et sa bouche lui semble comme si on avait relié son côlon directement à sa gorge. Nul mouvement ne trahit une présence – Chrome est seul assis dans la salle de réveil, le pavillon des catatoniques où se jouent des parties d’échecs horizontales. Où se délivrent les pires guerres, les conflits des nerfs avec eux-mêmes.
Il claudique vers un passage dans le mur le plus éloigné, où s’entredéchirent une obscurité plus profonde et les stroboscopes d’une ampoule nue au plafond. Droit sous la pluie de flashes, un pantin assis dans un fauteuil roulant. Vêtu d’une robe de chambre plutôt sale, barbe de huit jours, tonsure dans cheveux aile-de-corbeau, deux doigts de la main droite passés dans l’anse d’un mug fumant appuyé sur l’accoudoir ; l’autre main relâchée, paume vers le bas, sur le second accoudoir.
C’est lorsqu’il contourne la chaise pour faire face à l’indic que Chrome sent vraiment l’action du rasoir sur son échine ; qu’il abaisse son regard vers celui de l’indic qu’il plonge vraiment : un œil totalement blanc, l’autre pointé vers lui ; un œil tourné vers l’intérieur, l’autre braqué vers l’extérieur. Et Chrome ne parvient pas, à son grand dégoût, à déterminer par lequel il se sait transpercé.
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