045. La Première Des «Cités»

D’ores le brouhaha des publics de cinéma de minuit, les geeks ont gravé leur nom sur leur siège au velours rouge mité de coups de canif, les petites minettes miaulent à l’oreille des vieux beaux gominés, cheveux poivre et sel, manteau long noir et écharpe blanche, les mères de famille s’encanaillent avec leurs sacs en toile de gobelins, les ados qui font plus âgé que leur âge déboulent par bandes coulés dans la masse, deux ou trois grands-mères bobos post-hippies mal recollées dans leurs robes d’une pièce aux couleurs de l’arc-en-ciel font mimer sur leur passage l’acte de vomir. Telle la faune qui s’empile dans les rangées pour assister à la première des Grandes Cités Vides Sous La Lune. D’aucuns y voient une élégie pour Howard Philips Lovecraft. Personne n’y soupçonne la menace mortelle. 

La lumière s’éteint, l’écran reste obscur mais une poursuite apparaît au centre de la scène. Un instant le cône néon est vide ; celui d’après, aussi vrai que les hommes vivent à l’instant et une nanoseconde plus tard seuls les scorpions parcourent la surface de la Terre, Nile Rossetti est sur scène. Droit comme un insecte, un Max Shreck en pantalon de serge à la semblance de la nuit, pull à col roulé assorti et des prunelles plus sombres que le noir, qui aspirent une portion de la poursuite ; Nie Rossetti est là, et fait le vide autour de lui. «Je suis Rossetti. Je vous souhaite la bienvenue.» 

L’âme errante du public exhale son extase de sainte Thérèse, les mains se délient, les nœuds de muscles se défont, les ventricules, les cortex, tout ce petit monde graisseux des recoins commence à se recombiner. «Ecoutez-les.» 

Les contours de Nile se mettent à trembler, il devient flou sur la scène, la poursuite perd son focus, mitose, se divise en cellules, chasse, lacère l’écran où le film commence sur les mots : «Les enfants de la nuit.» Et les globules grosses 10 milliards de fois s’entrechoquent, remuent les estomacs, Rossetti donne à voir ce qui ne peut être vu, les immondes des entremondes, les monstres de l’Interzone, qui prélèvent leur dîme au Passage en nature, se tortillent dans l’éther, s’interbouffent et métastasent dans l’espace macro et micro. 

«Quelle musique ils font.» 

La voix de Rossetti sue des nœuds du bois des murs, des interstices entre les lambris, des trous dans la moquette, des câbles d’alimentation et des ampoules cramées des plafonniers, ampoules qui implosent les unes après les autres, et avec la ténèbre victorieuse, une onde de terreur parcourt l’échine du public en mutation lorsque Nile fait clouer les portes d’accès et de secours et déverser des fleuves de najas en furie depuis les vitres de la cabine de projection.

Publicité

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :