002. Messaline Au Feu
Il ployait sous le poids de son regard. Elle, noire, flottante, sa courbe dessinant un ciseau ; elle, entaillante, cisaillante, méconnaissable ; elle dormant entre deux eaux de la première mère ; elle, nacre, pourpre, encre la plus obscurcie, une balise dans le temps. Lui, à l’inverse, n’était qu’arrêt du cœur, capillarité de l’espace qui s’ignore, et déjà la promenade plongée dans la ténèbre, odeurs de rencontre chair & métal, la collision plus aisée lorsque la victime est deux – seule, elle marche dans la méfiance ; serrant son sac contre sa poitrine, un amas de détritus neufs comme semblance de l’armure ancienne. Du Sacré Cœur en toc. « Tu ne devrais pas boire autant.
– J’ai six litres d’eau dans le corps. Ce n’est pas un verre de plus qui me noiera.
Elle fit la moue. « Ton cerveau baigne dans son huile corticale. Ce n’est pas une question d’étouffement.
– Plutôt de plongée nocturne, je sais. Je ne suis pas varié. Je suis d’un bloc. Et je ne change pas. [Il reposa son verre – vide.] Le mythe du scorpion, tu connais ? [Il prit un livre au hasard et jeta un œil par la fenêtre.] La nuit est presque invaincue. [Il ouvrit son livre au hasard.] Il est dit ici que Robert Mitchum, après s’être vu refoulé d’un bal costume, est revenu plus tard, complètement nu et recouvert de ketchup, en beuglant : je suis un hamburger, je suis un hamburger. Je connaissais l’histoire – mais pas la photo.
Une pensée lui traversa l’esprit : celle d’une silhouette blanche entre les branches du vieux mûrier. Un battement dans son oreille interne. Puis plus rien, sinon un scintillement odorant, parfum de vieux livre. La vitre lui renvoya son reflet un instant ; tout redevint sombre.
Elle changea de position, car l’acier commençait à la faire souffrir. Ces quelques millimètres turent sa peau et ses yeux retrouvèrent leur focale. « Que peux-tu encore ? Quels pouvoirs te reste-t-il ? Tes mains sont sèches contre eux.
– Leur colère est ma force. Était-ce un éclair ? La privation remplit les caisses, si tu vois ce que je veux dire. Je suis un moine bouddhiste zen. La voie du milieu, c’est compenser un grand bienfait par un crime en proportion.
Il remit le livre en place sans quitter la fenêtre des yeux. « Tu auras finalement trouvé ta confession.
– N’emploie pas de mots qui te dépassent, ma chérie. [Son visage s’empourpra, il parlait désormais d’une bouche figée, contractée, noire comme le piège d’une fourmi-lion. On entendait, étouffés derrière les rangées d’ouvrages, les chuchotements des chaînes et du bois qui éclate.] Et je saurai bien ôter ce sourire de ton visage. Quoi que cela me coûte… et que tu perdes au change. Car les affaires, vois-tu, sont les affaires. Il existe une éthique dans le troc, une déontologie du vol consenti. La compensation intervient toujours. Et l’on ne vend vraiment que ce à quoi on tient plus qu’à la vie.
Son expression se radoucit. Il s’approcha de l’âtre, remua les braises, sortit une petite clé d’étain rosâtre. « Ils sont déjà là.
– Penses-tu ? [Il se retourna, fixa son double regard sur elle, sa part d’ombre et la moitié éclairée par les braises. Son regard de bâtisseur. Et de dynamiteur. Il lui montra la clé avant de la jeter dans le feu mourant et de sortir un révolver, petit comme un jouet de femme mûre et craintive.] Marchand d’armes, tu comprends, cela n’a qu’un temps. On devient vite marchand d’âmes : les tubes de fer sont plus lucratifs, la demande est forte, même en temps de crise. [Il regarda les poignets de la femme en noir, d’un air gourmand.] Ils servent à toutes sortes de choses, pas seulement à tuer des gens. Du moins le tracé de la balle n’est-il pas toujours une ligne droite.
Sa courbe frissonna dans le coin de la chambre. Ce n’était pas le froid, malgré les lentes funérailles qui se tenaient dans l’âtre. L’odeur de la sève incandescente ; la lueur orangeâtre au bout du verger ; le crissement de la porte ; le bourdonnement des assassins. « Ils se rapprochent, dit-il en fermant les yeux. Va, varejoindre tes sœurs.
juin 9, 2009 à 6:59
[…] Messaline Au Feu By 1000morts Dans ce 2e post, je représente une scène très intime : la victime torturée attachée par les poignets, […]